Lettre à mon futur moi : s’il te plaît, ne deviens pas un con

À ne pas ouvrir avant 10 ans.

Lettre à mon futur moi : s’il te plaît, ne deviens pas un con

Cher futur moi,

Salut. C’est moi. Toi. Mais en version un peu plus tendre, un peu plus naïve, peut-être, mais pas encore usée. C’est la version de toi qui s’émerveille encore devant un bon film, qui donne trop de pourboire aux livreurs, même quand le compte est serré, et qui croit encore qu’on peut vieillir sans devenir aigri.

Je t’écris parce que j’ai peur.

Pas du vieillissement, ni du mal de dos (quoique…), ni de l’oubli progressif des mots de passe ou des nouvelles stars de la pop. Non. J’ai peur de quelque chose de plus subtil, de plus sournois :

J’ai peur que tu deviennes un con.

Pas le con bruyant, caricatural, celui qui crie sur les gens dans les embouteillages. Non. Le genre de con discret, poli, avec une chemise bien repassée, mais le regard dur et le cœur fermé. Le genre qui pense tout savoir, qui écoute à peine, qui croit avoir tout compris de la vie parce qu’il a coché quelques cases.

S’il te plaît. Ne deviens pas ce type-là.

Voici ce que j’espère que tu n’oublieras pas.


1. Ne confonds jamais réussite et supériorité.

Si la vie t’a souri — et j’espère de tout cœur que oui — garde la tête froide.

Réussir ne te rend pas supérieur. Ça veut dire que tu as eu de la chance, que tu as bossé dur, ou peut-être que quelqu’un t’a ouvert une porte. Parfois, c’est juste le bon timing. Tant mieux.

Mais n’entre pas dans les pièces comme si tout le monde voulait être toi.
Ne t’imagine pas que tu es au-dessus des autres.
Et par pitié, n’ose jamais dire “il suffit de s’en donner les moyens”.

On sait d’où ça vient. Et ce n’est pas joli.


2. Reste curieux. Même (et surtout) quand tu crois savoir.

Les gens intelligents qui arrêtent d’apprendre deviennent chiants.

Ils se citent eux-mêmes. Ils posent des questions rhétoriques. Ils regardent les autres avec un petit air de “j’ai déjà fait le tour”.

Toi ? Fais pas ça.

Continue de lire des trucs bizarres. Laisse-toi surprendre. Pose des questions idiotes. Écoute les plus jeunes sans te sentir obligé de leur apprendre la vie.

La curiosité, c’est de l’humilité en mouvement.


3. Ne crois pas à ta propre légende.

Si un jour on te dit que tu es brillant, inspirant, visionnaire — souris. Et puis oublie.

Garde ça dans un tiroir avec les “meilleurs souvenirs d’ego”. Mais n’y touche pas trop.

Parce qu’au moment où tu commenceras à y croire, tu deviendras sourd à tout ce que tu peux encore apprendre. Tu ne verras plus tes angles morts. Tu commenceras à croire que tes opinions sont des vérités.

Et ça, c’est le début de la fin.


4. Sois gentil. Non, encore plus que ça.

C’est facile d’être gentil avec les gens qu’on aime bien. C’est un peu plus dur avec ceux qui te coupent la parole, ou qui font des PowerPoints trop longs.

Mais c’est là que ça compte.

La vraie gentillesse, c’est quand tu es capable de traiter avec respect des gens qui te saoulent, qui sont maladroits, lents, nerveux, ou juste différents.

Chaque personne que tu trouves pénible est un être humain avec un monde intérieur. Tu n’as pas besoin de tout tolérer. Mais tu peux choisir de ne pas écraser.


5. Si tu parles plus que tu n’écoutes — arrête-toi. Immédiatement.

Il y a quelque chose de triste chez les gens qui ne savent plus écouter. Ils ont toujours une anecdote, un avis, une blague. Mais plus personne ne les écoute vraiment.

Alors, si tu sens que tu occupes un peu trop d’espace… respire. Ralentis. Pose une question sincère. Puis laisse un silence.

Tu verras : c’est là que les vraies choses arrivent.


6. Protège ta douceur. Ne laisse pas le monde te durcir.

Tu vas être déçu. Trahi. Ennuyé. Confronté à des gens durs, cyniques, ou injustes. Tu vas voir des systèmes absurdes, des logiques cruelles. Et tu vas être tenté de devenir froid, distant, sarcastique.

Résiste.

La dureté n’est pas de la force. C’est de la peur en costume-cravate.

Le vrai courage, c’est d’aimer encore. D’être touché. D’être vulnérable sans se fermer. De pleurer devant un truc beau. D’aimer même quand ça ne fait pas cool.

Reste tendre.


7. Ne confonds pas détachement et sagesse.

Tu vas avoir envie, un jour, de t’éloigner. De ne plus t’impliquer. De rire en coin en disant : “Pas mon problème”.

Et parfois, tu auras raison.

Mais si tu deviens incapable d’être touché, ému, indigné — ce n’est pas de la sagesse. C’est de la fatigue mal digérée.

Reste impliqué. Même un peu. Même maladroitement.


8. Si un jour tu as du pouvoir — utilise-le pour élever, pas pour dominer.

Le pouvoir n’est pas le mal. Mais il est dangereux.

Alors si un jour on t’écoute plus que les autres, si ta voix pèse… fais attention.

Utilise cet espace pour faire de la place. Pour mettre la lumière sur quelqu’un d’autre. Pour amplifier des voix qu’on n’entend pas assez.

N’utilise jamais ton pouvoir pour te sentir grand. Utilise-le pour que les autres se sentent vus.


En conclusion : s’il te plaît, ne deviens pas ce type-là

Tu sais de qui je parle.

Celui qui a “réussi”, mais que plus personne n’a envie d’inviter.
Celui qui a tout, sauf la capacité d’écouter.
Celui qu’on admire… mais qu’on ne regrette pas quand il s’en va.

Je ne te demande pas d’être parfait.

Je te demande juste de rester humain.
De te souvenir d’où on vient.
De garder notre drôlerie, notre sensibilité, notre auto-dérision.

S’il te plaît, ne deviens pas un con.

Je t’aime trop pour ça.

Avec affection,
Toi.
(Avant les conférences TED et la machine à café hors de prix)