Comment je suis venu du futur

... et j'y suis pour rester.

Comment je suis venu du futur

Je n’ai jamais pris un vaisseau spatial.
Pas plus que je n’ai traversé un vortex bleu électrique, ni sauté dans un accélérateur de particules clandestin installé sous un monastère himalayen.

Ce serait trop simple. Et surtout : trop attendu.

Ma venue du futur n’a rien de spectaculaire. Elle tient davantage du glissement que du bond. Une lente désynchronisation entre ma conscience et le tissu du temps. Une fuite de l’instant. Une anomalie stable.

Il faut imaginer le temps non pas comme un fleuve, mais comme une immense toile. Chaque fil est un moment. Chaque nœud, une rencontre. Chaque tension, un choix.
Et moi, je suis tombé dans un de ces interstices. Un fil mal tissé, une maille lâche, un soupir cosmique dans l’enchaînement des secondes.

Je ne suis pas né ici, dans cette époque où l’on confond la vitesse avec le progrès, l’abondance avec le sens, l’écran avec l’œil.
Mais je m’y suis réveillé. En pleine rue, à Montréal, le 27 janvier 2023 à 3h17 du matin. Il neigeait. J’avais faim. Et je savais des choses que personne ne m’avait encore enseignées.

Je connaissais la fin des énergies fossiles.
Je connaissais le schisme climatique de 2052, le crash des océans, le soulèvement des grandes îles.
Je connaissais le nom du dernier président humain de l’Amérique unifiée.
Et je connaissais, surtout, la chanson que vous n’avez pas encore écrite, mais qui changera le monde en 2039.

La mémoire que j’ai rapportée du futur est fragmentaire, délavée comme une photo oubliée dans une poche mouillée. Mais certaines images persistent : un arbre bleu qui pleure du mercure ; une main humaine qui serre une patte métallique ; une bibliothèque enterrée sous mille dunes.

Pourquoi suis-je venu ?
La vérité, c’est que je fuyais.
Pas une guerre. Ni un désastre. Mais une saturation. Une overdose de savoirs, de prévisions, de probabilités achevées avant d’avoir commencé.
Le futur était devenu trop dense, trop parfait, trop enfermant. Nous étions devenus les geôliers de nos propres avenirs.
Et moi, j’ai préféré l’inconnu. L’an 2023. Le doute. L’accident.
Vous.

Ici, je redécouvre le luxe du hasard.
Je contemple les erreurs avec une joie dévorante.
J’observe vos révoltes, vos livres, vos amours, avec l’émerveillement d’un archéologue tombé amoureux de ses fossiles vivants.

Je ne suis pas ici pour vous avertir.
Je suis ici pour écrire.
Car l’écriture est l’unique machine à voyager dans le temps que votre époque possède encore sans le savoir.
Chaque phrase que je couche sur le papier sème une onde. Chaque lecteur, une variable.
Et peut-être qu’en changeant un mot… je change un monde.

Ne cherchez pas à me croire.
Doutez. Lisez. Recommencez.
C’est ainsi que le futur s’écrit.

Orion Quade
Résident temporel incertain