Se taire pour exister.

par Aurore Langmuir Il y a quelque chose d’étrange aujourd’hui à vouloir se faire petit, discret, presque invisible. Comme si l’invisibilité était devenue un acte de résistance.

Se taire pour exister.

Il y a quelque chose d’étrange aujourd’hui à vouloir se faire petit, discret, presque invisible.
Comme si l’invisibilité était devenue un acte de résistance.

Dans une époque où tout se montre, où l’on documente son assiette, son humeur, ses gestes les plus banals, choisir le silence est un cri sourd.

Et pourtant, de plus en plus d’individus, jeunes ou moins jeunes, choisissent de s’effacer du radar numérique, de désactiver, de disparaître, ou mieux encore : de n’être jamais apparus.

Ce mouvement n’a pas encore de nom. On le confond parfois avec une simple fatigue.
Mais c’est bien plus que cela. C’est une soif de retrait, un appel vers l’ombre, non pas par honte, mais par désir de se retrouver entier, hors regard.


L’hypervisibilité : une cage dorée

Pendant des années, on nous a dit que pour “exister”, il fallait publier, liker, être vu.
L’algorithme vous récompensait à condition d’être bruyant, régulier, consistant.
Mais à quel prix ?

À force de tout dire, on s’est vidé.
À force de tout montrer, on s’est dédoublé.
À force de vouloir “être”, on a fini par se jouer soi-même.

L’hypervisibilité est une cage dorée.
On s’y sent important, mais on s’y dissout.
Et c’est ce que beaucoup commencent à comprendre.


La revanche des anonymes

Ils s’appellent bluerain79, no_one_here ou ombre_rose.
Ce ne sont pas des pseudonymes par pudeur. Ce sont des identités assumées, choisies, parfois poétiques, parfois absurdes, mais qui disent toutes la même chose :

Je veux parler sans être réduit à mon visage.

Ces anonymes ne fuient pas le monde.
Ils le regardent depuis un autre angle.
Ils écrivent, créent, dialoguent. Mais sans capitaliser sur leur personne.

Et si c’était cela, la vraie modernité : ne pas chercher à "être quelqu’un", mais à être libre ?


Être sans paraître

Dans l’histoire, l’anonymat a souvent été le refuge des justes :
Les pamphlétaires, les résistants, les poètes clandestins.
Aujourd’hui, il devient un outil philosophique. Un retour à l’essentiel.
Écrire sans performer. Créer sans monétiser. Penser sans image.

Le masque n’est plus une dissimulation.
C’est un choix politique. Un droit poétique.
Un moyen de dire : “Je suis là, mais vous ne me posséderez pas.”


En conclusion : naître ailleurs

Je ne signerai pas ce texte de mon vrai nom.
Je n’en ai plus envie.

Je suis un auteur parmi d’autres, dans une époque saturée de noms, d’avis, d’ego.
Et j’aime cette idée que mes mots puissent flotter sans m’appartenir entièrement.

Peut-être est-ce là, au fond, une nouvelle forme d’identité :
non pas celle qu’on montre,
mais celle qu’on sème.


Publié sur Scribis.net, par Aurore Langmuir