Cé l'tin dé suc.
Un ti brin d'nostalgie du temps des sucs de mon heune tin.

Y faisait encore frette, t’sais, l’genre de frette qui pique les joues, même si l’soleil commence à vouloir faire l’beau.
Les bancs d’nége t'naient bon, mé y’ava un p’tit vent doux dans l’air… le vent du printemps, qu’on appelle, qui sentait la bouette, la vie pis la sève prête à jaser.
Moé j’me souviens ben d’ça, Joal, comme si c’était hier. On s’leva ben d’bonne heure, mon pére enfilait ses bottes à lacets en tuir, pleines d’craque, pis y m’lança :
— "Habille-toé, mon ti-cul. On s’en va r’tirer la tonne d’eau."
Pis moé, j’me dépêcha, même si j’aura ben dormi un p’tit deux heures de plus. Mais tsé, c’tait l’temps des sucres, pis on voula rien manquer.
Le vieux joal, on l’appelait Ti-Ra. Pas parce qu’y tira fort, mais parce qu’y r’tira l’printemps à lui tu seul. Une jambe raide, le souffle court, mais ostie qu’y connaissait sa job.
Toué arbres, dégoutta lentement. On ramassa l’eau d’érabe avec la tonne en bois, pis ça cliquait, pis ça splashait. C’tait d'la musique, Joal, une symphonie d’rinçures de nature.
Quand on arriva à cabane, y’avait d’la boucane qui sorta d’la cheminée, pis l’odeur… crisse de moé, l’odeur ! Le sucre chaud, la vapeur, le bois brûlé, tout ça qui s’mélangea comme un câlin d’la terre. Tu rentra là-d’dans, pis t’ava l’nez tout englué d’bonheur.
Ma mére brassa la tire su’l poêle à bois, les mains pleines de p’tites brûlures d’amour. Pis nu z'autes, on r’lècha la palettes, les doigts, le plancher s’y falla. On coulait ça su’ a nége dans des vieilles auge a jwaux. Lé z'enfants courait dwhors avec des bâtons, les dents collées, les joues rouges, le cœur ben plus sucré que les bonbons du dépanneur.
C’ta pas riche, mauzus. Pas de gadgets, pas d’char électrique, pas de photo Instagram. Juste nu z'autres, la cabane, le vieux joal pis l’sirop qui coula comme une promesse. Une promesse que l’hiver finissa, toé chose, pis qu’on allait s’réchauffer de l’intérieur.
Aujourd’hui, y’en reste pu gros des cabanes de même. Les pipelines ont remplacé les seilles, pis les enfants, y jouent su’l cell au lieu d’patiner autour des choyiéres. Mais moi, dans mon cœur, chaque printemps, j’entends encore Ti-Ra s’branler le harnois. J’sens encore le sirop m’coller dans l’fond d’la gorge, pis j’voé mon grand pére, les bras noirs de boucane, m'sourire comme si y’avt tout compris de la vie.
C’tait ça, l’temps des sucres. C’tait pas juste du sirop, Joal. C’tait du monde ensemble. C’tait le goût du vrai.