La surprise du Wagon 17
Une autre aventure peu commune de Johny Coconut

Je ne prends pas souvent le train.
Mais ce jour-là, j’avais envie de silence en mouvement, d’un long couloir de paysage filant derrière la vitre, avec un carnet entre les genoux et un stylo prêt à noter des pensées que je n’écrirais jamais.
Je m’étais installé dans le wagon 17. Deuxième classe, mais le soleil entrait comme chez lui par la fenêtre. En face de moi, un vieil homme dormait la bouche ouverte. Plus loin, une ado mâchait du chewing-gum en regardant son téléphone. Rien d’exotique. Rien d’excitant. Et c’était très bien comme ça.
Mais parfois, les aventures choisissent leur moment.
Et ce moment-là commença par une envie banale :
aller aux toilettes.
Je me suis levé.
J’ai longé le couloir. Un léger tangage dans le ventre à chaque raccord de rails.
Arrivé devant la porte des toilettes, je pousse doucement.
Et là.
Deux femmes.
Non, pas simplement deux passagères distraites.
Deux corps enlacés. Deux respirations haletantes. Deux mains curieuses.
L’une assise sur le rebord, l’autre penchée sur elle, leurs jupes froissées, leurs regards absents au monde.
J’ai reculé aussitôt.
— Pardon, je ne voulais pas…
Mais l’une d’elles, celle au chemisier entrouvert et aux boucles brunes, m’a agrippé par le poignet. Un geste vif, précis. Et sans un mot, elle m’a tiré à l’intérieur.
La porte s’est refermée dans un souffle.
L’espace était minuscule.
Mais dans la pénombre bleutée, tout devenait immense.
— Tu nous as vus, dit-elle.
— Tu es là, maintenant, dit l’autre.
Et sans autre justification, je me suis laissé emporter.
Il y a dans certains instants une sorte d'évidence animale, une clarté érotique qui dissout toute hésitation. Elles m'ont touché avec une lenteur étudiée, presque cérémoniale. L'une se colla contre mon dos, m’enlaçant, pendant que l'autre ouvrait lentement ma chemise, effleurant ma peau comme un parchemin précieux.
Elles n’étaient pas pressées.
Elles savaient.
Le désir n’a pas besoin d’espace. Seulement d’accord tacite.
Leurs mouvements étaient étrangement fluides, presque chorégraphiés.
On aurait dit une forme de yoga sensuel, un enchaînement de poses improvisées, mais parfaitement harmonisées. Une jambe sur la cuvette fermée, un bras contre la paroi, des torsions, des respirations synchronisées.
L’une d’elles, je crois, murmura :
— Ressens, ne pense pas.
Et j’ai obéi.
Mes mains suivaient, mes hanches répondaient, mes lèvres butinaient au hasard. L’humidité montait, pas seulement sur les peaux, mais dans l’air confiné de cette cabine transformée en autel.
Il y avait du rouge à lèvres partout.
Sur mes joues, sur mon cou, entre mes doigts.
Elles riaient, elles soufflaient, elles me guidaient.
Dehors, les voix commençaient à s’impatienter.
— Ohé !
— Il y a quelqu’un là-dedans ?
— Bordel, y a un type qui vit ici ou quoi ?
Nous avons ri tous les trois, comme des enfants pris sur le fait.
Et puis, dans un dernier soupir collectif, nous avons repris nos places.
Elles m’ont recoiffé en vitesse. M’ont donné un baiser chacune, un peu trop appuyé, volontairement visible.
Je suis sorti le premier.
Rouge à lèvres sur le front, le cou, la chemise.
Sourire béat, cravate défaitiste.
Une dame m’a regardé, interloquée.
Un ado a éclaté de rire.
Je n’ai rien dit.
Je suis retourné à ma place.
Le vieil homme dormait encore. Le paysage n’avait pas changé.
Mais moi, j’étais un peu plus vivant qu’à l’aller.