L’invitation

Le jour du festival de la bouche, j'ai cru mourir de plaisirs.

L’invitation

Je ne me souviens plus très bien du jour. Peut-être un mardi, ou un faux jeudi. Le genre de soir où l’on sent que quelque chose va basculer. J’étais seul, comme souvent, mais pas vide. J’ouvrais machinalement une appli dont je tairai le nom, parce que l’essentiel ne s’y trouve jamais dans le profil, mais dans ce qui s’échappe entre les lignes.

Et là, je l’ai vue.
Non, pas elle. Elles.

Une annonce :

« Tu es curieux ? Docile ? Ou juste prêt à dire oui ? Viens. Tu seras attendu. »
Pas de prénom. Une adresse. Une heure : 21h.
Et ce murmure numérique : « Tenue légère recommandée. »

J’ai cliqué, bien sûr. Parce que je suis comme ça.
Je réponds à l’inconnu quand il frappe doucement.


Il faisait doux quand je suis sorti. Mon tee-shirt noir collait à peine, et l’air avait ce goût de nuit en suspension. Le quartier était calme, presque trop. Je suis monté au troisième étage d’un immeuble haussmannien comme il y en a des centaines à Paris. Escalier large, tapis usé, silence ancien.

Je n’ai pas eu à sonner. J’ai frappé.
La porte s’est ouverte. Et elles étaient là.

Six.
Comme une vision montée pour moi.
Chacune différente. Chacune complète.
Je les ai vues sans comprendre, comme on tombe dans un rêve éveillé : une en rouge, une en noir, une pieds nus, une coiffée d’un turban doré. Des regards calmes, pénétrants, presque rieurs.

Aucune question. Juste un geste : entre.


J’ai obéi.

Une main a glissé ma veste. Une autre a défait ma ceinture.
Je n’ai pas résisté. J’ai laissé le moment me dévêtir.
Je sentais leur assurance, cette manière qu’ont certaines femmes de prendre le contrôle sans dominer, de transformer un homme en matière vivante, souple et offerte.

— Tu es notre invité, a soufflé l’une.
— Notre jouet, a murmuré une voix chaude derrière mon oreille.
— Notre dessert, a dit une troisième en riant doucement.

Je n’ai pas répondu.
Ma parole aurait sonné trop fort dans ce rituel secret.


On m’a assis sur un fauteuil bas.
On m’a attaché les poignets, avec des tissus doux comme des serments.
Et là, j’ai senti le monde ralentir.

Une me caressait la nuque. Une autre effleurait mes jambes. Une léchait lentement ma clavicule. J’étais leur point fixe, leur centre brûlant. Elles dansaient autour de moi sans se gêner, comme si elles se connaissaient depuis toujours, comme si j’étais l’ingrédient manquant à leur formule ancienne.

Je ne savais plus où regarder.
Je ne savais plus quoi sentir.
Tout devenait intense. Fusionnel. Débordant.

Ce n’était pas une orgie.
C’était un pacte des sens.
Elles m’ont fait grimper des escaliers invisibles, m’ont emmené au bord de ce que je pensais être mes limites. Et puis elles ont continué. Lentement. Comme si elles savaient que je n’étais pas prêt à redescendre.


Le lit — ou peut-être un grand matelas jeté dans la pièce — était vaste, blanc, un peu froissé. J’y ai été transporté, à demi porté, à demi aspiré. Je n’étais plus qu’un souffle, une peau, un homme désarmé.

Les corps se mêlaient. Les souffles aussi.
Une main sur ma poitrine, une bouche sur mon ventre, une langue dans mon oreille. Je ne sais plus qui faisait quoi. Et c’était parfait ainsi.

J’ai appris ce soir-là qu’on peut jouir sans dominer, exister sans parler, se perdre sans jamais vouloir être retrouvé.

Et dans le calme d’après, allongé entre elles, comme un animal revenu à son état sauvage, j’ai souri.

— Tu reviendras, a dit une voix douce.
— Quand nous le déciderons, a ajouté une autre.

Je n’ai pas protesté.
Ce soir-là, je n’étais à personne, sauf à elles.

Et je n’aurais voulu être nulle part ailleurs.