Le vertige d’exister : penser l’invisible au cœur du réel
Ce qui va de soi est rarement interrogé. Nous vivons entourés d’évidences : lever le bras, dire bonjour, payer un café, ouvrir une porte, aimer ses proches, redouter la mort.

1. Le murmure des origines
Tout commence dans un silence : celui qui précède notre première respiration, notre premier cri, notre premier souvenir. Avant la parole, il y a le vertige. Ce trouble diffus de ne pas savoir ce que l’on fait ici, ni pourquoi, ni depuis quand. L’homme ne naît pas philosophe — il le devient, souvent par nécessité, parfois par effroi. Une sensation étrange, celle de flotter dans une réalité qui ne nous a pas demandé notre avis. Un monde qui existait déjà, et qui continuera sans nous. Alors nous interrogeons. Nous doutons. Nous cherchons des signes. Et parfois, dans les interstices de cette réalité trop solide pour être honnête, un frémissement : et si ce que nous appelons "le réel" n’était qu’une surface ?
2. De l’illusion de la permanence
Nous aimons croire que les choses durent : les montagnes, les familles, les idées, les souvenirs. Pourtant, tout semble glisser entre nos doigts. Le temps ne passe pas : il emporte. Tout ce qui est né est déjà en train de disparaître. Et pourtant, l’illusion de la stabilité est tenace. Nos maisons, nos règles, nos calendriers : autant de digues dressées contre le fleuve du devenir. Ce besoin de permanence est profondément humain ; il est même peut-être notre première religion. Mais que reste-t-il quand tout ce que nous croyions immobile s’effondre ? Il reste une question nue, obsédante : qu’est-ce qui est réel ?
3. Le réel : une fiction cohérente ?
Et si le réel n’était qu’un consensus fragile ? Une fiction partagée à l’échelle planétaire, validée par nos sens limités et nos langues imparfaites ? Nos cinq sens nous donnent une lecture partielle du monde ; notre cerveau, ensuite, comble les vides. Nous rêvons chaque nuit sans nous en souvenir. Nous nous souvenons parfois d’événements qui ne se sont jamais produits. Alors, que croire ? Peut-être que ce que nous appelons le réel n’est qu’un décor mental, une interface biologique entre nous et l’indicible. L’invisible n’est pas ailleurs : il est ici même, sous la peau des choses.
4. L’invisible dans la conscience
La conscience elle-même est un mystère que nul miroir ne reflète. Nous nous savons vivants, pensants, aimants, mais nous ne savons pas comment cela est possible. Aucune machine, aucun algorithme, aucune équation ne permet d’expliquer l’étrange lumière intérieure de la conscience. Et pourtant, c’est par elle que tout passe. Ce n’est pas le monde que nous touchons, mais notre perception du monde. Tout ce qui est, n’est qu’un écho dans une conscience. Alors, où se cache le réel ? Dans la matière ? Dans l’esprit ? Ou dans la rencontre improbable des deux ?
5. Vers une philosophie du vertige
Le vertige, loin d’être une faiblesse, pourrait devenir une méthode. Une manière d’être au monde, en acceptant de ne pas le comprendre tout à fait. Une posture lucide, mais pas désespérée. Une philosophie du "peut-être", du "je ne sais pas", du "ce n’est pas certain mais je suis là quand même". Car le vertige d’exister ne se guérit pas. Il se contemple. Il s’apprivoise. Il devient une force lorsqu’il est accueilli sans peur, comme un compagnon silencieux qui nous rappelle que vivre est un miracle quotidien, un défi au néant.
6. Conclusion : vivre, c’est consentir à ne pas savoir
Il n’y a pas de réponse définitive à la question de l’être. Et peut-être est-ce une bonne nouvelle. La philosophie n’a pas pour vocation de rassurer, mais d’élargir. D’ouvrir des fenêtres dans nos certitudes, de créer des passages entre les évidences. Vivre, c’est avancer dans un brouillard rempli de lumière. Penser, c’est danser au bord de l’abîme, en riant parfois, en pleurant souvent, mais en avançant toujours. Car le réel n’est peut-être qu’une promesse : celle d’un monde plus vaste, plus dense, plus invisible encore, qui attend d’être pensé.